Même les clochards parlent bien

Publié le par Isabelle à Paris

Ici, même les clochards parlent bien.  J’étais en route vers les Jardins du Luxembourg en métro et il y avait un sans-abri qui déclamait sa misère dans le wagon pour avoir de la monnaie.  Avec un français parfait, il nous récitait sa vie misérable avec une forte voix, comme si nous étions au théâtre.  Il employait des mots justes, précis, il était intelligible et son vocabulaire était varié.  

En cherchant un café pour m’asseoir, j’ai croisé des enfants de huit ans qui revenaient de l’école.  L’un d’entre eux a dit à son petit voisin : «J’adore les myrtilles (bleuets)».  D’abord, le garçon a employé le verbe «adorer».  Depuis quand un gamin emploie ce genre de verbe avec ses petits copains ?  Ensuite, je n’ai pas entendu de «S» entre le «T» et le «I» que nous, Québécois, insérons systématiquement : poutsine, Tsitanic, petsit, tsirage, myrtsille. 

En m’assoyant au Café de la Mairie, près de l’église St-Sulpice (l’une des plus vieilles églises de Paris, en passant, et l’un des cafés les plus chers je crois – un café à 4.30 euros, sérieusement ?), j’ai commandé au jeune serveur un café crème et une bouteille d’eau gazéifiée, c'est-à-dire un Perrier, marque populaire française de surcroît.  Eh bien, j'ai dû répèter par trois fois pour commander le Perrier, le serveur ne me comprenant pas.

 

Plus tard, j'ai souligné le problème rencontré à Chéri.  J'étais un peu énervée par le manque de volonté du serveur qui ne se forçait pas beaucoup pour me comprendre.  Qu'est-ce qu'il y a de difficile à compendre dans : Je veux un Perrier SVP ?  J'ai même demandé à Chéri si j'avais fait une faute, n'aurais-je pas dû demander de «l'eau pétillante» à la place pour me faire comprendre ?  Non, pas du tout, j'avais tout bon en demandant d'avoir un Perrier.

 

Pourquoi entre peuple francophone est-il si difficile de se comprendre ?

Cela provient de deux problèmes, selon moi.  Le premier vient de notre pauvre éducation.  Je me souviens d’avoir lu un livre écrit par Georges D’Or sur notre parlé joual qui s’intitule «Ana braillé ène shot».  Dans son livre, il y a un passage où il décrit une querelle qu’il a eu étant enfant avec un autre écolier de son âge.  Pour se défendre, l’autre petit l’a bousculé et lui a lancé : «Ahhh, toé… moé… là !» et c’est tout.  C’était sa réplique et il n’avait aucun mot dans son vocabulaire pour se défendre.  Cette querelle enfantine lui est restée en mémoire et D’Or, des années plus tard, l’utilise pour analyser la situation des Québécois par rapport à leur langue : comment faire valoir son point de vue lorsque nous sommes incapables de faire des phrases complètes ?  La cohérence de notre esprit se reflète par notre langage et par notre capacité d’utiliser des structures pour expliquer ce que nous pensons, ce que nous voulons.  Sans langage, que reste-t-il pour se défendre ?  Les armes.  Ou la soumission.  Je crois que nous avons choisi la deuxième option comme peuple. 

 

Le deuxième problème vient des Français.  Ceux-ci s’autoproclament le centre du monde francophone et dictent les règles et les normes.  Étant une ancienne monarchie ayant étendu ses tentacules partout dans le monde (Canada, Haïti, Vietnam, Polynésie, etc.), la France sent encore le besoin de gouverner.  Et le domaine où ils ont encore un pouvoir est notre langue.   Ainsi, ils refusent toutes modifications lorsque celles-ci n'émanent pas de leur Académie : courriel (mèl), magasinage (shopping), stationnement (parking), nettoyage à sec (pressing).  Alors, lorsque nous, peuples francophones hors de France, utilisons notre langue commune pour nous exprimer, c'est de manière systématique que de répéter la même phrase mille fois à un Français, parce que celui-ci n’est pas ouvert aux différences linguistiques.  Et surtout, il n’est pas ouvert à se forcer pour comprendre.  C’est vous qui deviez modifier votre parlé, pas lui. 

 

Je trouve que ces problèmes forment un cercle vicieux : moins le Québécois s'affirmera, plus le Français exercera son autorité en matière linguistique.  Évidemment, comme je suis en pays dominant, c’est moi qui doit s’adapter à eux et non l’inverse.  J'essaie d'avoir un langage soutenu, mais je n'essaie pas de gommer mon accent.  Celui-ci ne devrait jamais s'effacer, car il est porteur de ma culture et de mon histoire.  Je n'ai pas à camoufler mes origines.  Le français parlé à Paris n'est pas plus noble que celui parlé à Montréal.  Il est différent, simplement. 

 

La prochaine fois qu'ils ne me comprennent pas, je vais leur parler en anglais !  Peut-être réussirons-nous à nous comprendre.

 

Sur une note plus gaie et pour me réconcilier avec le petit accrohcage de cet après-midi, je vous fais suivre cette photo.  C'est quand même le pays le plus gastronomique du monde.  Saucisses de taureau, de fromage de chèvre et de faisan, accompagnées d'un Bourgogne.  À ta santé, cher cousin Français ! 

 

 

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B
<br /> Tout à fait d'accord! en tant que Belge vivant à Montréal depuis près de 4 ans, et linguiste de formation, je soutiens le français du Québec, et j'encourage les Québécois à être fiers de leur<br /> variante du français - à même titre que les Belges et leurs belgicismes. Bon séjour!<br /> <br /> <br />
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L
<br /> Oh les moteurs la petite québécoise en voyage! D'abord, es-tu sur que ton serveur était français ? Ensuite, le français moyen, dans tous les sens du terme, commande un Perrier-citron, pas un<br /> Perrier. Tu as du oublié le citron. Oh et puis future petite parisienne à l'accent pointu, les serveurs parisiens ne sont pas, en général,des summum de politesse, il va donc falloir t'y habituer<br /> comme je me suis habitué, moi, aux serveuses québécoises qui me regardaient comme si j'étais un Angla et depuis je les aime !<br /> <br /> Le Papou<br /> <br /> <br />
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I
<br /> <br /> Cher Papou,<br /> <br /> <br /> D'abord, merci de lire mon blog.  Ensuite, aujourd'hui, lorsque je me suis assise dans un resto près des Galeries Lafayette, le serveur - très gentil par ailleurs - en entendant mon accent<br /> très exotique, s'est mis à me parler en anglais !  J'ai dû parler sur le bout de la langue comme vous, cher cousin. <br /> <br /> <br /> Merci pour l'info sur le Perrier-citron.  J'en prends bonne note (dans mon calepin).  J'ai aussi su qu'il ne fallait pas dire un café au lait, mais bien un café crème.  Aussi, si<br /> on veut du lait dans son expresso, il faut demande avec une noisette.  <br /> <br /> <br /> C'est comme si je devais réapprendre à parler ma langue.  Intéressant, non ?<br /> <br /> <br /> <br />