Home

Publié le par Isabelle à Paris

Cela fait dix jours que j'habite Paris et j'ai fait mon premier jogging ce midi.  J'ai découvert une allée tout près de chez moi, la «Coulée verte» qu'elle s'appelle.  Elle fait presque tout le XIIe arrondissement, alors je peux partir pour longtemps.  Elle se situe sous le niveau de la route et un plafond suspendu de plantes et de fleurs protège les promeneurs du soleil, du bruit et de la pollution.  J'ai toujours perçu le jogger comme étant le symbole même du quotidien.  Il habite le quartier où il court et il le fait souvent aux mêmes heures.  Il est discipliné et rigoureux par rapport à sa vie, il semble sain.  Les joggers dont j'ai le plus de respect sont ceux qui se lèvent avec l'aube et courent avant de commencer leur journée de travail.  Quelle force de caractère il faut avoir pour s'arracher du lit douillet, moelleux, confortable, de mettre ses chaussures sport et de partir souffler dans la rosée glacée du matin !  S'ils sont capables de faire ça, imaginez ce qu'ils peuvent faire de leur vie avec toute cette détermination !  Qui ne voudrait pas être comme le jogger ?  

 

Plus tard en soirée, en prenant l'apéro avec Chéri, nous parlions de notre adaptation mutuelle à la France, la sienne, faite il y a longtemps et la mienne, toujours en processus.  Il me disait qu'il se sent en vacances depuis qu'il habite la France.  Une idée m'est alors venue à l'esprit : lorsqu'on est en vacances, c'est qu'il y a une maison quelque part, un chez-soi qui nous attend à la fin du périple.  N'est-on pas tentés de retourner à la maison ? Le voyage est le contraire de la maison.  Mais l'un peut-il s'opposer à l'autre ?  Ce que je trouve décontenançant, c'est de me sentir ni en voyage ni à la maison.  Je suis dans l'entre-deux.  L'inverse est aussi vrai, je suis en voyage et à la maison tout à la fois.  Je crois que, pour le moment, c'est ce que je trouve le plus difficile, c'est-à-dire à me définir à travers cet espace.  Suis-je en voyage ?  Suis-je à la maison ? 

 

C'est peut-être pour cela que j'ai été jogger aujourd'hui, pour me donner un simulacre de routine.  Me faire accroire que je fais partie du groupe, que je suis Parisienne et que je suis aussi à l'aise dans ce pays que n'importe quel autre coureur sur la piste.  Que j'ai un job satisfaisant, des amis compréhensifs, une famille aimante dans ces arrondissements, quelque part pas loin d'ici.  Que je partage les mêmes traditions et la même culture.  Que j'ai regardé le deuxième tour de l'élection du chef du Parti socialiste hier soir comme mes voisins.  Que je lis le journal Le Monde en buvant un express, que je regarde les news à vingt heures en mangeant mon dîner.  Je pense que j'essaie trop de m'adapter...

 

Une autre idée m'est venue aussi en tête.  Comment font-ils, ces immigrés des autres cultures étrangères à la nôtre ?  Ceux qui parlent très peu français ou qui viennent de régions méjugées, comme l'Afrique ou le Moyen-Orient ?  Comment ils font, ces gens pour refaire une vie normale et combien de temps cela leur prend-il ?  Et je pense aussi à tous ces gens en perpétuel voyage.  Ces hommes/femmes d'affaires américains qui gèrent des compagnies en Chine, ces pop-stars qui voyagent partout dans le monde à donner des spectacles ou à faire des films, à ces réfugiés de guerre qui se rappellent leur pays lorsqu'il était en paix ?  Ils sont constamment en quête d'une maison pour se constituer un quotidien basé sur d'anciennes habitudes qui leur rappelleront le pays d'origine, les souvenirs, les bons amis, mais aussi, en y incorporant la nouvelle culture en travaillant, en socialisant, en se divertissant.

 

Et en joggant.

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article