De canard et de cochon

Publié le par Isabelle à Paris

Alors là, quelle surprise !

 

J'ai eu ma première entrevue hier.  Ici, pour travailler dans de grandes entreprises, il faut immanquablement passer par une agence de placement (comme Adecco, Ranstand,...).  Tout comme les cafés, il y a environ une agence de placement pour cinq habitants.  Il y en partout, à tous les coins de rue.  (Comme les pharmacies et les opticiens.  Étrange.  Est-ce que cela signifie que le Parisien moyen est addict aux pilules, myope, au chômage et drogué à la caféine ?).  Au Québec, ce type d'agence se situe souvent dans des locaux à l'esthétique branché, soit coloré, soit épuré et dont les outils technologiques sont relativement récents.  Mais ici, c'est autre chose.  Mon entrevue a lieu au quatrième étage d'un immeuble près de la gare St-Lazare, dans le centre de Paris.  

 

(Petite parenthèse, la station de métro St-Lazare dessert la grande gare de train, deux autres lignes provenant des banlieues (RER), ainsi que des échangeurs de lignes de métro.  C'est énorme comme station et y'a du monde en masse, surtout à l'heure de pointe.  La conseillère de l'agence m'avait dit que je devais prendre la sortie Cour de Rome... et une chance !  Parce que cette station colossale a quatre étages à mezzanine faite en rond.  C'est comme un cylindre où les paliers tournent et si vous loupez l'embranchement, vous continuez à tourner sans fin dans ce cercle d'escaliers infernal.  Rajoutez à cela des indications plus ou moins cohérentes et un million de personnes impatientes.  Bref, j'ai tourné dix bonnes minutes avant de sortir à l'air libre.)

 

J'arrive donc au quatrième étage de l'immeuble en question.  Le tapis bleu usé recouvre un plancher tordu et craquant, faisant ressortir les murs d'un gris malade.  La réceptionniste, cachée derrière un mur, m'accueille.  Je me présente et je dis que je suis ici pour un entretien avec Mlle X (oui, ici on dit «entretien» au lieu «d'entrevue», tout comme «mission» au lieu de «poste», on se sent comme dans James Bond : «Hé, j'ai obtenu une mission chez Bell Canada»!).  La réceptionniste détecte à la seconde mon accent français d'Amérique.  «Ah !  Vous venez du Canada !  Vous êtes ici depuis combien de temps ? Il doit faire très froid chez vous à cette période de l'année, et j'ose même pas imgaginer en janvier !  Blablabla... Je vous dis, j'adore votre accent, je n'arrêterai pas de vous faire parler !».  Voyez, c'est ça qui est drôle.  Je peux percevoir dans les cafés parisiens un petit snobisme lorsque que je parle, mais à l'inverse, je peux rencontrer des gens en admiration avec mon accent.  Le mépris fait place à la curiosité et à la fascination.  Ce qui est à mon avantage, c'est que le Parisien moyen adore la nouveauté et l'exotisme.  Comme je suis un spécimen exotique (!), les gens sont portés à me parler beaucoup plus et à me poser des questions sur mon coin de pays. 

 

Commence alors l'entrevue.  On discute, on parle, on pose des questions.  Il y a ensuite un test bureautique et un test d'anglais.  Je réalise assez vite que le clavier est complètement différent de celui qu'on retrouve en Amérique.  C'est un clavier dit «azerty» (azerty pour les premières lettres du clavier, en haut à gauche), contrairement à celui en Amérique, qui est «qwerty».  Les accents ne sont pas situés à la droite, entre les lettres et le «ENTER», mais bien sur les chiffres au-dessus des lettres.  Je dois taper et je suis minutée pour le faire, ça part mal.  Sans parler qu'à chaque fois que j'appuie sur le clic-gauche de la souris, ça fait «koui-koui».  Bien sûr, parce que je suis dans un immeuble qui est aussi vieux que Mathusalem (tout comme l'ordinateur d'ailleurs), j'entends toutes les autres conversations qui ont lieu dans les locaux  autour du mien.  Évidemment, je suis portée à écouter, mais je me concentre à renvoyer mon attention vers mon clavier handicapé et vers le temps qu'il me reste pour effectuer mon test.  Ça me rend plus ou moins dingue.  À tel point que je me dis que je serais mieux de devenir l'assistante de mon boulanger et de passer mes journées à sourire et à vendre des croissants.  Le seul détail qui m'ennuie, c'est que je vais prendre dix kilos de pâtisseries au beurre et à la crème.  Elles sont irrésistibles.  Vous devriez voir ses mille-feuilles et ses petits gâteaux en forme de cochon rose (c'est comme un sarcasme, plus on mange de gâteaux au cochon rose, plus on devient le cochon rose).  Finalement, je réussis à sortir de cet enfer de bruit.  En attendant que l'ascenseur me ramène à ma libération, j'entends la réceptionniste parler de moi à Mlle X : comment c'était, qu'est-ce qu'elle a dit, oh! que j'adore cet accent, blablabla... Je suis un animal de cirque. 

 

Juste devant l'immeuble vétuste se trouve un beau Starbucks tout neuf.  Je commande mon café-crème pour apporter quand le jeune préposé starbuckien me dit : «Ah !  Montréal !  J'adore cet accent».  Y'a quelque chose qui cloche.  Je décide de marcher dans le huitième arrondisssement.  Il est hors de question pour le moment que j'affronte à nouveau ce métro fait en forme de gouffre sans fond.  Il fait frais et le ciel est bleu.  Je veux savourer ces moments qui m'ont mis un peu de baume sur le coeur et m'ont réconcilié avec mon accent en forme de p'tit canard à patte cassée.           

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L
<br /> La gare Saint-Lazare, ma gare de jeunesse depuis ma banlieue ouest avec les meilleurs saucisses moutarde mais tout ça a du bien changé. D'abord on ne tournait pas, c'était tout droit en évitant la<br /> fouletitude, et puis comme je suis parti, le kiosque aux saucisses a du faire faillite.<br /> Dites bonjour de ma part èa Saint Lazare<br /> <br /> Le Papou<br /> <br /> <br />
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