Coquelicot

Publié le par Isabelle à Paris

Il fait ensoleillé dans Montmartre.  On dirait que ce n'est pas l'hiver qui vient nous rendre visite, mais bien le printemps qui arrive.  La rue est en pierres et ça me rappelle le Vieux-Québec.  Même les immeubles et les vieilles bâtisses autour de moi me font l'effet d'un déjà-vu.  La terrasse du café où je suis assise est cachée sous les feuilles des platanes.  Je bois un verre de vin blanc, un vin d'Alsace je crois, un peu trop sucré selon moi.  Un goût qui ne s'harmonise pas avec le temps à saveur d'amertume. 

Un vieux couple français à ma droite parle de la Grande guerre : elle, avec sa jupe bleue aux genoux et son foulard rouge au cou tenant en place par une broche dorée, lui, avec son pantalon modèle vichy du dimanche, son béret brun et sa canne.  Ils sont les représentants du parfait stéréotype de l'époque.  Leur héritage est lourd d'histoire.  

Malgré les décennies qui nous séparent du IIIe Reich d'Allemagne, le pays porte encore les marques de la guerre comme des cicatrices n'étant pas soignées.  En Amérique, de nos jours, nous ne percevons même plus les échos de cette catastophe.  On l'a casée dans les pages des manuels d'histoire qu'on distribue aux écoliers.  La Deuxième guerre, pour les Américains, n'est qu'une victoire parmi d'autres, un trophée qu'ils dépoussièrent le temps d'une commémoration diplomatique.  Par contre, pour les Français qui l'ont vécue aux portes de leurs maisons, cette période est une erreur des temps modernes : comment cela a-t-il pu avoir lieu ?  Ils sont encore sous le choc.

À travers les rues de Paris, on peut voir des affiches métalliques où sont décrits certains événements, mais à un niveau très personnel.  Par exemple, au coin de la rue où j'habite, il y a une affiche indiquant qu'une jeune juive du nom d'Elisa Lemonnier, résidente du quartier, fut déportée dans le camp d'Auschwitz en 1942.  Ou bien celle qu'on peut apercevoir au coin des boulevards St-Michel et St-Germain concernant un officier de la garde française ayant été tué par balles par un SS à cet endroit précis.  Souvent, suspendue tout près de ces affiches, une gerbe de fleurs pend, retenue par un ruban aux couleurs du drapeau français.  On ressent une présence qui plane à travers ces faits, bribes de l'histoire qui nous renvoient à notre propre vulnérabilité.  Sans compter qu'à chaque premier mercredi du mois, à midi, on entend dans toute la ville les sirènes qui avertissaient les civils d'une attaque imminente.  Tous les sens sont mis à contribution pour nous faire rappeler la guerre.  

Au début de la guerre, vers 1940, mon grand-père s'est enrôlé dans l'armée canadienne pour aller au front, ici, à Paris, mais aussi, en Normandie, en Écosse, en Belgique.  Il a vu son copain se faire mitrailler.  Il a souffert de froid, de faim et de sommeil.  C'est sûrement pour cette raison qu'il s'endormait partout, même dans son assiette de spaghettis !  Il avait le réflexe de dormir dès qu'il le pouvait.  En fait, c'est la seule chose que je sais à propos de ses années comme soldat.  Il n'en parlait jamais, ni à ma grand-mère, et encore moins à ses filles.  Par contre, ses soeurs ont reçu des dizaines de lettres entre 1940 et 1946 qui racontaient sa peur.  Je pense que ces lettres étaient ce qui lui permis de ne pas sombrer dans l'obscurité.  Malheureusement, nous n'avons jamais retrouvé ces écrits épistolaires. 

En 1945, au lieu de revenir au pays pour retrouver ses parents, il est resté ici pour aider à la reconstruction.  J'ai une carte postale d'une photo du Canadian Club à Paris qu'il a envoyée à ses soeurs.  C'est presque illisible tant il écrivait avec de grandes lettres attachées.  Une écriture aristocratique.  Je suis allée là où il était, il y a 65 ans, à ce Canadian Club qui s'est transformé en appartements, près du pont Alexandre III.  Je me suis demandée ce qu'il m'aurait dit à propos de tout ça, à propos de la guerre, à propos de sa vie, à propos du temps et de la mémoire.  Il est mort maintenant, depuis longtemps. 

J'espère qu'il peut voir Paris à travers mes yeux.  Voir comment elle est belle et admirer le bon travail qu'il a effectué durant ces années d'après-guerre.  Parce que, Papi, c'est un peu grâce à toi si Paris scintille de mille feux aujourd'hui.

 

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